- GELS
- GELSLe gel est formé de deux milieux dispersés l’un dans l’autre:– le milieu dit «solide» est constitué de longues molécules connectées entre elles par des points de réticulation pour former un réseau tridimensionnel;– le milieu liquide (solvant) est constitué de molécules indépendantes.Le gel se distingue d’une solution colloïdale où le milieu «solide» n’est pas connecté. Il est nécessaire de remarquer que la dénomination gel est parfois délicate à attribuer à certains corps, car la limite gel-solution colloïdale n’est pas franche.On distingue deux grandes familles de gels: les gels chimiques et les gels réversibles. Pour les gels chimiques, les points de réticulation sont formés par réaction chimique pour constituer le milieu «solide». Celui-ci ne peut être dissous que par dégradation. Tandis que, pour les gels réversibles, les longues molécules sont reliées entre elles en certains points par des liaisons faibles. Ces liaisons peuvent être des microcristaux (chlorure de polyvinyle), des hélices (gélatine), des liaisons hydrogènes (alcool de polyvinyle). Pour liquéfier les gels réversibles, il suffit de modifier les conditions physiques (par exemple la température, le pH) ou de les soumettre à une agitation mécanique (thixotropie). Le gel se reforme lorsqu’on le replace dans les conditions physiques initiales.Dans le cas des gels chimiques, la concentration de solvant peut varier (par simple évaporation), depuis la concentration d’équilibre jusqu’à la concentration nulle. On a alors un gel sec (le caoutchouc notamment).1. Exemples de gels en biochimie, en agroalimentaire et en chimieLe gel est un corps très particulier qui peut avoir un rôle de filtre, en laissant migrer sélectivement des éléments en fonction de leur dimension, ou un rôle de piège, en fixant des éléments. C’est aussi un corps très particulier grâce aux propriétés élastiques de la composante «solide». Ces propriétés peuvent être modifiées en changeant la concentration en solvant, la taille ou la conformation des molécules entre points de réticulation. Ces propriétés justifient le rôle important du gel aussi bien dans la nature que dans les applications en chimie, en agroalimentaire et en biochimie.La peau, constituée de molécules de collagène, permet la libre diffusion des éléments – eau, oxygène, sels minéraux. Les gels employés en chromatographie (gel de silice, par exemple) ou en électrophorèse (polyacrylamide) permettent, en fonction du temps de transit à travers le gel, de séparer des particules de dimensions différentes. Les gels sont utilisés dans la fabrication de cristaux de corps peu solubles; on fait réagir, par diffusion à travers un gel, deux composés solubles dont le mélange direct aurait donné une poudre. Par exemple, on obtient un cristal de calcite à partir du chlorure de calcium et du carbonate de sodium séparés par un gel de silice. En photographie, le chlorure d’argent est fixé par la gélatine qui, appliquée en couche mince sur un support, constitue les films. Dans les cas de l’agroalimentaire, les gels utilisés sont soit d’origines végétales, comme les algues (alginates, carraghenanes), les graines de céréales (amidon de maïs) ou les fruits (pectines), soit d’origines animales, comme la gélatine (collagène). L’emploi de ces gels permet une tenue supposée agréable des aliments, ainsi que l’immobilisation d’éléments nutritifs dans le réseau (par exemple, les crèmes desserts).Dans le cas des cosmétiques comme dans celui des peintures, le rôle de fixateur d’un gel thixotrope est utilisé. Dans ces cas, les produits actifs sont dispersés dans des gels qui, sous agitation, deviennent des liquides visqueux facilement applicables en couche mince. Après application, le liquide peut retrouver sa structure de gel, et donc avoir une bonne tenue mécanique.2. Propriétés des gels modèlesLes gels modèles sont des réseaux chimiques tridimensionnels, constitués de chaînes polymériques flexibles et neutres; ils présentent les caractères suivants:– chaque chaîne a, entre deux points de réticulation consécutifs, le même nombre de monomères N (degré de polymérisation); – le nombre de chaînes issues de chaque point de réticulation est identique;– les deux extrémités d’une chaîne sont reliées à deux points de réticulation différents;– le solvant est réparti uniformément à travers le réseau polymérique;– les chaînes sont supposées ne pas être enchevêtrées.Les gels qui se rapprochent le plus du gel modèle sont les gels fabriqués par la méthode de l’end linking . Dans un premier temps sont préparés des polymères ayant une répartition étroite en masses moléculaires, aux extrémités desquels sont greffés des sites actifs (polymère vivant). Dans un second temps est ajouté au bain réactionnel (polymère vivant plus solvant) un agent réticulant, de fonctionnalité f connue, qui réunit entre elles les chaînes. Pour éliminer les composants chimiques qui n’ont pas réagi, le gel est lavé, puis il est immergé dans un excès de solvant. Un exemple typique de gel modèle est le gel de polystyrène-benzène, où les chaînes de polystyrène sont préparées par polymérisation anionique, puis réticulées entre elles par le divinylbenzène. Ces gels présentent cependant certaines imperfections qui habituellement sont: des boucles, des enchevêtrements et des chaînes pendantes.Propriétés structuralesEn présence d’un excès de solvant, le gel absorbe les molécules de solvant jusqu’à l’équilibre de gonflement, qui est tel que le potentiel chimique du solvant dans la phase gel est égal à celui du solvant pur. À l’équilibre de gonflement, le gel modèle est un empilement homogène de chaînes polymériques reliées entre elles par des nœuds chimiques (fig. 1). La chaîne, entre deux points de réticulation, a des caractéristiques identiques à celles de la chaîne isolée correspondante. Ces caractéristiques sont sa taille R (par exemple, le rayon de giration), et la fraction en volume 﨏 , occupée par le polymère dans le volume R 3:a 3 est le volume d’un monomère, le symbole 劣 indique que les deux quantités sont proportionnelles. Dans le cas du gel, la fraction en volume 﨏 occupée par le réseau polymérique est proportionnelle à 﨏 : 﨏 = k 﨏 , le facteur de proportionnalité k dépend de la fonctionnalité f de l’agent réticulant et, peut-être, de la méthode de préparation. Il s’ensuit que les dimensions des chaînes polymériques et l’état de gonflement du gel sont reliés. Le gonflement du gel à l’équilibre dépend du rapport de l’affinité moyenne monomère-monomère et monomère-solvant. Plus l’affinité monomère-solvant est grande, plus les chaînes polymériques ont tendance à s’entourer de molécules de solvant, ce qui entraîne un accroissement de la taille moyenne des chaînes et une diminution de la fraction en volume. Pour un polymère donné, les solvants dont l’affinité monomère-solvant est dominante, sont appelés bons solvants, et solvants thêta lorsque les deux affinités sont comparables. Par exemple, pour le polystyrène au voisinage de 35 0C, le benzène est un bon solvant alors que le cyclohexane est un solvant thêta.La configuration des chaînes entre points de réticulation a été déterminée expérimentalement sur des gels de polystyrène dont quelques chaînes sont marquées, en remplaçant des atomes d’hydrogène par des atomes de deutérium. Des mesures d’intensité de diffusion de neutrons permettent de mesurer le rayon de giration de ces chaînes et montrent que celui-ci est comparable à celui de la chaîne isolée correspondante. Très généralement, il existe entre la taille moyenne R , et le nombre de monomères N , la relation suivante:l’exposant 﨎 est voisin de 1/5 dans le cas d’un bon solvant et égal à 0 dans le cas d’un solvant thêta. Alors, la fraction en volume du réseau polymérique à l’équilibre de gonflement et le nombre de monomères sont reliés par:Cette relation est assez bien confirmée expérimentalement dans le cas de gels modèles de polystyrène-benzène. Il est aussi intéressant de remarquer que la taille des chaînes entre points de réticulation est seulement fonction de 﨏 .Une caractéristique importante des gels, qui n’a pas encore été mentionnée, est leur élasticité permanente. Les propriétés élastiques des corps isotropes sont décrites à l’aide de deux modules élastiques: cisaillement et compression. Le module de cisaillement 猪 , comme dans le cas d’un caoutchouc, est proportionnel au nombre de points de réticulation par unité de volume:K B est la constante de Boltzmann et T la température absolue. Le module de compression K dépend à la fois de l’élasticité caoutchoutique du gel et de l’interaction entre le réseau polymérique et le solvant. Par définition, on a:où 神 est la pression osmotique. Une dérivation de 神 à partir de l’énergie du système, conduit à:Les deux modules sont donc proportionnels:Des mesures mécaniques montrent que les modules élastiques des gels modèles, gonflés dans un bon solvant, suivent une loi de puissance en fonction de 﨏 en accord avec l’expression ci-dessus.De ce qui précède, il faut remarquer que la configuration moyenne et les propriétés mécaniques des gels peuvent être décrites sans avoir une connaissance détaillée des paramètres microscopiques; elles ne sont fonction que de la fraction en volume occupée par le réseau polymérique à l’équilibre de gonflement, quantité facilement mesurable.Propriétés dynamiquesDu fait de l’agitation thermique, le filet polymérique est sans cesse soumis à des fluctuations de déplacement autour de sa position moyenne. La connaissance de la vitesse d’amortissement de ces fluctuations permet de comprendre les propriétés dynamiques des gels. On montre que les modes propres, de vecteur d’onde り, de ces fluctuations ont une vitesse d’amortissement 臨 , qui obéit à une loi de diffusion: 臨 = D q 2 (cf. DIFFUSION DE LA LUMIÈRE - Météorologie), le coefficient de diffusion D s’exprime sous la forme:où 兀 s représente la viscosité du solvant et est le coefficient de perméabilité qui, comme dans les milieux poreux, est proportionnel à la section des pores du gel: 劣 R 2. La vitesse d’amortissement des fluctuations est d’autant plus rapide que l’élasticité du gel est grande, et que les frottements entre solvant et réseau polymérique sont faibles. Le coefficient de diffusion est fonction uniquement de la fraction volumique occupée par le réseau polymérique à l’équilibre:Les vitesses d’amortissement des fluctuations peuvent être déterminées à partir de mesures du spectre Rayleigh de la lumière diffusée par les fluctuations de déplacement. Expérimentalement, dans le cas des gels de polystyrène-benzène, le coefficient de diffusion D ne dépend que de la variable 﨏 , et suit une loi de puissance proche de celle attendue théoriquement.Il a été évoqué ici la dynamique des déplacements microscopiques du réseau polymérique soumis à l’agitation thermique; il est raisonnable d’étendre cette manière de voir aux déplacements macroscopiques du gel lors de son gonflement au voisinage de l’équilibre. Une telle étude montre que la cinétique de gonflement du gel est contrôlée par le coefficient de diffusion D du réseau polymérique.La compréhension des propriétés structurales et dynamiques des gels modèles a fait, au cours de ces dix dernières années, d’importants progrès dus à la mise au point de nouveaux types de synthèse ainsi qu’à l’utilisation de techniques expérimentales et théoriques nouvelles. Cela a permis de montrer que les propriétés des gels modèles dépendent essentiellement de la fraction en volume à l’équilibre.3. Transition sol-gelJusqu’alors les propriétés physiques des gels ont été considérées, la formation de ces gels va être maintenant décrite. Prenons comme exemple la formation de la gélatine: les molécules de collagène (2 p. 100) sont mises en solution dans l’eau à haute température (50 0C). Par refroidissement (20 0C), les chaînes de collagènes forment des points de réticulation entre elles. Il y a d’abord formation de structures connexes (amas), de forme et de taille très variables, qui constituent la phase sol. Lors de ce processus, la taille des plus grands amas augmente ainsi que la viscosité de la préparation. Au point de gélification apparaît un amas dont la taille est comparable à celle du récipient où se fait la gélification. Au-dessus du point de gélification, le système est composé de deux phases: la phase sol et la phase gel. Cette dernière est un réseau de structure très lâche où la plupart des molécules de collagène appartenant au réseau sont pendantes. Au cours du processus, le réseau devient de plus en plus serré et le nombre de chaînes pendantes diminue. Ce système est un milieu élastique.On appelle transition sol-gel le changement d’état d’un système qui passe d’une phase unique, le sol, à une biphase sol-gel. Les caractéristiques de cette transition ne dépendent pas du type de gel considéré. Très généralement, on caractérise l’état du processus de gélification par son degré d’avancement p , où p varie entre zéro et un entre le début et la fin du processus. Au point de gélification, la valeur du degré d’avancement est p c . Dans le bain de réaction, les modifications des propriétés mécaniques lors de cette transition sont spectaculaires. En effet, pour 0 麗 p 麗 p c , le bain de réaction est un liquide dont la viscosité 兀 croît et diverge à p c . Pour l 閭 p 礪 p c , c’est un corps élastique dont le module de cisaillement 猪 croît. On admet que la viscosité 兀 et le module de cisaillement 猪 varient comme des lois de puissance en fonction de l’écart au point de gélification ( p ) = |p 漣 p c |:Dans ces équations, 兀 0 et 猪 0 sont des constantes dépendantes des systèmes étudiés telles que: présence de solvant, longueur des unités de départ; par contre, les exposants s et t sont des constantes indépendantes du système (cf. tableau).Une caractéristique importante du système en cours de gélification est la polydispersité des amas, toutes les masses moléculaires étant présentes dans le bain de réaction. En dessous du point de gel, pour un degré d’avancement p (p 麗 p c ) les amas ont des degrés de polymérisation n compris entre l et N . N est le degré de polymérisation de l’amas le plus grand (N 劣 ( p ) size=1漣( size=1塚 + size=1廓 )) dont la taille est 﨡 ( 﨡 劣 ( p ) size=1漣 size=1益 ). On montre que la concentration C m d’amas de degré de polymérisation m est:Au-dessus du point de gélification, pour un degré d’avancement p (p 礪 p c ), la phase gel a un degré de polymérisation G (G 劣 ( p ) size=1廓 ). 塚 , 廓 , 益 sont des exposants dont les valeurs théoriques sont données au voisinage du point de gel (cf. tableau).La grande polydispersité de ces systèmes implique que le comportement d’une grandeur physique, au voisinage du point de gélification, dépend du type de mesure effectuée. La plupart des mesures physico-chimiques utilisées ne peuvent se faire que sur des systèmes dilués, ayant une faible interaction entre particules dissoutes.Un sol est un système concentré; donc, pour effectuer des mesures, il faut interrompre la réaction chimique et diluer le système. Ce traitement ne peut se faire que sur des gels chimiques. Expérimentalement, il a été montré que la dilution a pour effet d’accroître la taille des amas sans pour cela modifier la topologie des liaisons. Les mesures physico-chimiques utilisées pour caractériser le degré de polymérisation et la taille des amas sont les mesures de pression osmotique et d’intensité de lumière diffusée.Les mesures de pression osmotique permettent d’avoir accès à la moyenne en nombre du degré de polymérisation N n qui, par définition, est:Par des mesures d’intensité de lumière diffusée, on peut déterminer la moyenne en poids du degré de polymérisation N w et la moyenne z du rayon de giration des amas R z . Ces grandeurs s’expriment sous la forme:où R m est le rayon de giration de l’amas de degré de polymérisation m , avec:En utilisant la distribution en poids C m , donnée précédemment, il apparaît que, au point de gélification, la moyenne en nombre N n sensible aux petits amas ne diverge pas, alors que la moyenne en poids N w et la moyenne R z , sensibles aux grands amas, divergent. Explicitement, nous avons:On voit que R z est proportionnel à la taille du plus grand amas. Dans ces expressions, les préfacteurs N 0 et R 0 dépendent du système chimique et les exposants devraient être des constantes indépendantes du système. Toutefois, la valeur numérique des exposants est un sujet de controverse entre théoriciens.Cette transition sol-gel est interprétée par deux approches théoriques: l’une est une théorie de champ moyen, l’autre une théorie de phénomène critique qui est fondée sur une analogie percolation-gélification (voir: P. G. de Gennes, «La Percolation: un concept unificateur», in La Recherche , vol. VII, no 72, 1976). Si la première approche (fig. 2) ne peut prendre en compte ni les encombrements stériques (en un volume de l’espace, il ne peut y avoir qu’un seul élément de chaîne), ni les cyclisations (un point de réticulation peut relier deux portions de la même chaîne et non pas deux chaînes différentes), elle permet de déterminer le seuil de gélification p c avec une bonne approximation. Par contre, l’autre approche (fig. 3) prend en compte les encombrements stériques et les cyclisations qui deviennent importants au voisinage de la transition sol-gel, d’où une modification notable de la valeur des exposants (cf. tableau). Des études expérimentales ont été effectuées sur divers systèmes chimiques (obtenus par polycondensation ou par copolymérisation) au voisinage du seuil de gélification. Celles-ci ont montré que la croissance, la structure et la polydispersité des amas sont bien décrites par le modèle de percolation. En effet, les valeurs des exposants mesurées sont proches des valeurs prévues par la théorie de percolation. Par exemple, il a été trouvé que le degré de polymérisation N W diverge à la transition comme ( p )- size=1塚 avec 塚 = 1,7 梁 0,1. Cette valeur de l’exposant 塚 est universelle: elle ne dépend pas du système chimique étudié.La description de cette transition par le modèle de percolation est satisfaisante: la densité des amas décroît alors que leur taille croît. Cela permet de comprendre qu’il n’existe aucune anomalie du degré d’avancement de la réaction chimique à la transition.Alors que la transition sol-gel se manifeste par un changement d’état (liquide: p 麗 p c ; solide: p 礪 p c ), les propriétés mécaniques (viscosité et élasticité) sont encore très mal comprises. Les valeurs des exposants s et t mesurées dépendent du système chimique étudié. Les propriétés mécaniques ne sont donc pas universelles. Un effort de recherche tant théorique qu’expérimental devrait conduire à une meilleure compréhension des propriétés dynamiques des systèmes en cours de gélification.
Encyclopédie Universelle. 2012.